A nos inspirations

Bonjour à tous,

Je suis heureuse de vous accueillir sur ce groupe consacré à l’Inspiration. Le premier groupe de ce genre en France dans la mesure où rien n’a été écrit de façon formelle sur ce thème dans notre pays.

A l’occasion de la sortie du livre « Cet élan qui change nos vies. L’inspiration » (Ed Odile Jacob), je vous propose de nous retrouver pour parler de ces moments où, en conscience, nous accueillons l’inspiration. Car d’autres fois, nous recevons l’inspiration, mais sans nous en rendre compte.

Or si l’on part du principe qu’un phénomène observé et reconnu comme tel par nous a tendance à revenir nous visiter, comme pour nous donner raison de lui avoir accordé de l’attention, nous avons tous intérêt à remettre de la conscience dans nos inspirations. Et cela tous les jours, afin d’encourager ses visites et bénéficier de son élan dans nos vies….surtout quand elles nous semblent monotones, trop réglées, répétitives ou parvenues en fin de cycle- extinction spirituelle, difficile à traverser vers un renouveau auquel il nous arrive parfois de ne plus croire.

Ces ouvertures, ces percées vers un nous-même juste, à la hauteur de la magie d’être en vie dans ce monde, nous pouvons les repérer et aussi les partager. En parler pour les faire exister à haute voix, échanger afin d’en transmettre l’irrésistible énergie. Apprendre aussi des uns des autres.

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Je même moi m’aime

Menue confusion de langage, toujours exempte d’abus de substances interdites, juste mue par l’afflux à mon conscient- et inconscient apparemment- de deux créations qui parlent d’amour… de façon particulière. En effet, que ce soit dans Her, film de Spike Jonze (2014)qui met en scène la relation passionnée d’un homme à son logiciel ( doté de voix de Scarlette Johansson tout de même) ou dans Real Humans ( 2013), une série suédoise détaillant  les relations entre des hommes et des robots à visage humain, le thème du rapport à l’autre- machine ou ordinateur plus exactement, fascine. Dans ces œuvres, l’homme acquiert un semblable machine qui devient son alter ego, offrant ad libitum échange et partage sur les registres les plus divers : mère, père, compagne, nounou, gouvernante, amant, soit autant d’avatars du confident de nos solitudes.  Quel que soit le rôle qui lui est attribué, l’alter ego machine nous accompagne pour donner sens et densité à nos moments de vie d’une durée toute déterminée- CDD par ailleurs inconnu des machines qui, elles, ne vieillissent pas définitivement. Elles se recyclent.

Ces intervenants d’amour reflètent à merveille nos attentes, nos fantasmes de relation idéale, d’omniprésence à nos côtés d’une instance de cœur à nous absolument dédiée.  Un autre qui comprendrait, devinerait, soutiendrait avant même que nous n’ayons pensé à demander. Un autre qui nous donnerait toujours exactement ce que nous voulons. Soit l’amour inconditionnel ou cet amour maternel parfait, si célébré, rarement éprouvé.  Nous rêvons de cet autre même qui nous aimerait sans altérité, une sorte d’oxymore déguisé en chiasme. Et forcément, ça rate. Que ce soit dans le film, dans la série, et a fortiori dans nos vies, l’autre s’émancipe, aimanté façon centrifuge vers un projet de vie qui le rend douloureusement inaliénable. C’est la découverte que font les amants, les instants d’extase fusionnels passés. L’univers de l’autre, sa vision du monde (la fameuse « mirovozrenie » des Russes) nous reste à jamais cachée, comme la nôtre pour lui. Ces univers se croisent, se recouvrent même au sens symbolique ou physique, mais ne se recoupent jamais. Les zones de non-recouvrement génèrent un manque insatiable, une souffrance souvent et aussi, heureusement, l’occasion d’une autre sorte d’amour.

L’amour de soi et du même qui va avec. Soi-même ou une instance à l’intérieur de nous qui veille inconditionnellement, qui nous parle à chaque instant. Et nous dit tout sur nous, pour nous, avec nous.  Qu’elle prenne la forme, selon les sensibilités, de  l’ange gardien, du guide, de l’inconscient ou d’une petite voix mystérieuse, elle ne s’entend que dans les moments où notre agitation s’interrompt. «  Avance… Attention mauvaise idée…. Tu peux lui faire confiance… Stop arrête ça…Fonce, c’est le moment…. », murmure-t-elle quand nous ralentissons à la faveur d ‘un moment de relâche ou, carrément, de détente. Une instance rassurante, patiente, fidèle. Pas un hasard si les petits enfants utilisent un doudou pour la capter aux instants sensibles- gros chagrin ou heure du dodo. Nous adultes ferions bien de nous en inspirer et d’acheter pour nous les peluches des enfants qui nous diront les mots que nous n’osons plus demander. Ou à défaut, de trouver l’animal chéri – chat, chien, cheval- qui nous transmettra ces paroles d’un nous-même que nous n’osons pas entendre.

Sinon nous trouverons peut-être ailleurs le questionnement qui mènera à cette écoute intime. Un ami ou un parent éveillé/éveilleur, souvent abrupt dans sa mission de vérité à notre égard ou encore un psy qui sait guider nous servira de truchement pour qu’enfin, l’autre, à l’intérieur, se mette à nous parler. Le questionnement secoue parfois. Normal, il faut bousculer l’ego pour que le soi laisse la place au même qui m’aime de l’intérieur.

Moi-même m’aime. Qui parvient à faire entendre cette voix chez soi ou chez l’autre sauve une vie.  Se  potentialise alors un amour viscéral, inébranlable, inconditionnel quelles que soient les aléas du destin. Un amour contagieux aussi, donc éternel.

Je dédie ce post à mon amie Pascale et à Jean, son papa.

Vivre et manger et non pas manger ou vivre

« Avant, c’était simple d’inviter des gens à dîner », soupire une amie en évoquant ces jours heureux où les convives pressentis ne savaient  pas encore qu’ils étaient intolérants au gluten, aux produits laitiers, au maïs ou aux  méchantes pommes de terre, où il n’était pas requis de rallier un parti- végétarien, ayurvédique, végétalien, ou de succomber tête baissée- sur l’assiette- à un diktat diététique- chrono nutrition, régime dissocié…

Molière s’en serait gaussé, lui qui, dans son injonction à « vivre pour manger et non pas manger pour vivre » incriminait  l’obsession du toujours plus à l’inverse de ces pratiques alimentaires fondées sur le toujours moins. Restriction, contrôle, réduction, suspicion….La nutrition moderne a perdu ce charme simple de nos souvenirs gustatifs. La douceur des effluves d’une boulangerie,  le gâteau d’une grand-mère ou d’une voisine, la première fraise de l’année devant laquelle on fait un vœu, l’orange juteuse qui nous barbouille le menton, les parfums de rôtis et de pommes de terre sautées des jours de fête. Rares sont ceux, même dont l’enfance n’a pas brillé de joie, qui  n’ont pas goûté au moins une fois ces instants de délice simples. Innocence des papilles.

Depuis, la connaissance nous est venue, comme les avatars de la pomme d’Eve, pourtant bio vu l’époque. Information menaçante sur les scandales alimentaires, les abus des multinationales, les méfaits des pesticides et autres avatars de la cupidité. D’où la défiance, même sur les marchés de village, les cas de conscience aussi. Cette tomate présentée sur l’étal du cultivateur du coin, locavore bénéfice, vaut-elle celle du Naturalia, encagée parmi ces congénères vertueuses acheminées à grand renfort de kérosène depuis la Grèce ? Du bio pour soi ou pour la planète ? Nombrilisme tristounet qui m’évoque le destin de ce très bon époux ami condamné à présenter quotidiennement dès l’aube, sur un plateau au lit et dans une ornementation d’assiette chaque fois nouvelle les cinq fruits bio chaque jour différents, épluchés pour son épouse qui, ajoute sentencieux le  stockholmisé , « soigne particulièrement son alimentation.».

Se soigner….Et manger là-dedans ? Pour en avoir le cœur net, je me suis lancée dans une inspection sur le terrain, une sorte de store check dans les magasins bio majoritairement remplis de consommateurs au petit panier- sans doute célibataires ou DINKS (double income no kids), budget oblige. Le bio segmente. Mais n’empêche pas la peur. Partout de la prudence, des individus précautionneux abordant les travées avec un soin maniaque, la panique au ventre de s’égarer sur les chemins de la luxure alimentaire. Telle ma voisine de l’étal yaourt,  une dame pâle et fluette soupesant gravement chacun des pots de yaourts pour scanner la liste des ingrédients, ressassant comme un mantra l’enfer auquel elle s’est promise d’échapper, soit la liste des composants diaboliques- lactose, gluten, saccharose….J’avance le bras devant elle pour saisir une motte de beurre- de la ferme-, elle pousse un cri. Sortie de transe.

Là, j’hésite à courir vers la sortie en criant « On s’en fout, on va tous mourir! » façon bouffée alimentaire délirante, et c’est le cas de le dire. Comme c’est le sixième magasin où je constate ce type de comportement, je préfère prendre à parti une vendeuse :

– Excusez-moi, vous ne trouvez pas qu’il y a un gros paquet de psychopathes ici ?

Regard de connivence éblouie.

– Oh oui, si vous saviez…soupire-t-elle en préparant mentalement sa reconversion chez Pizza Hut, au moins on rigole et ça sent la tomate en boite. Et de se pencher vers moi :

– Vous savez quoi ? Hier, j’en ai vu un mettre une demi-heure pour acheter quatre courgettes. Il a testé tout le cageot au pendule ! »

Naturaliaïaïaïe !

Là, re-bouffée  de visions, cette fois, la vieille dame dehors assise par terre qui mendie «  sa pièce pour manger », les millions d’enfants faméliques dans le monde, les moines qui bénissent leur frugal repas de soupe et de pain, Jésus qui disait : » Ne vous inquiétez point, et ne dites pas : Que mangerons-nous ? Que boirons-nous ? « Car : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme ». (Matthieu 6, 31-33)

Aberration. Eléphant dans la pièce, qui nous fait croire que nos problèmes relèvent d’une abondance de malbouffe, alors que c’est notre névrose qui se transfère sur l’obsession du bien manger, que c’est  le manque de reconnaissance qui nous abîme. Bio ou pas bio, selon les moyens et les budgets de chacun, toute nourriture qui nous échoit peut être l’occasion d’un accueil heureux, d’un réconfort humble. Une inspiration qui ne dépend que de nous, de notre façon de respecter la planète et ce qu’elle nous donne. Avec un minimum de traitement chimique, de négativité et  d’arrogance surtout.  Qui dit que le bio, ça ne se fabrique pas aussi de l’intérieur?

À l’ombre du cerisier en Freud

Contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, je n’ai pas fumé.

Juste accepté de me laisser inspirer.

Ainsi récemment, au 20 rue Maresfield  Gardens, au nord-ouest de Londres, soit la dernière demeure de Sigmund Freud qui y  débarqua en septembre 1938 pour y mourir un an plus tard exactement, à 83 ans.

Une rue tranquille bordée de vastes maisons de brique et, soudain, illuminant le froid de l’hiver anglais… un cerisier en fleur, magnifique, qui répand sa profusion printanière sur la maison de l’inventeur de la psychanalyse- la seule de la rue à être ainsi célébrée. Qu’est-ce qui fait que … ?

L’intérieur (de la maison) donne, comme toujours, des réponses. Freud a fui Vienne à contrecœur après que les nazis aient brûlé ses livres sur la place publique et décoré d’énormes  svastikas la façade de son cabinet rue Berggasse. Exfiltration possible grâce au soutien de Roosevelt qui s’est personnellement engagé à ce que l’inspirateur de la psychologie  moderne ait droit de cité à Londres pour y rapatrier, via des donateurs mystérieux, sa famille et son mobilier.

Freud  au  foyer. Les critiques de Freud ont stigmatisé l’omniprésence à ses côtés des trois femmes de sa vie, en plus de sa mère évidemment : Martha  son épouse fidèle à son poste, la cuisine, Minna sa belle-sœur et Anna, sa fille, psychanalyste pour enfants après avoir effectué son travail analytique avec… son père. Incestueuse, dangereuse, gravement dysfonctionnelle. Les critiques sur la configuration familiale de Freud sont innombrables et compréhensibles à la lumière des découvertes ultérieures sur les enjeux du transfert et du contre-transfert.

Sauf que, en situation, dans son cabinet préservé à l’identique, en face du sofa des analysants et de la chaise sur laquelle il s’asseyait derrière ses myriades de statuettes funéraires assyriennes, étrusques, grecques et égyptiennes  disposées de façon codifiée dans la pièce, entre les photos de lui caressant ses chows-chows favoris ou allongé sous la couverture de sa chaise-longue, recevant les présents des fermiers alentours pour son dernier anniversaire- fleurs, fruits, œufs et jambon ou encore tout redressé et fringuant pour une photo à caractère honorifique,  le doute pointe. Qui était Freud ?

Patriarche entouré de sa tribu façon sam’suffit sur le transat? Analyste  fasciné par la mort face à ses statuettes funéraires à haute fonction protectrice ? Mystique refoulé fâché avec Jung, son émule tenté par l’ésotérisme ? Mégalo orchestrant jusqu’au moindre détail sa postérité hagiographique ? Génie du XIXème siècle sans qui je ne serai pas là  à écrire, comme des millions d’autres professionnels se dédiant à « l’humain » ? Psychanalyste, juif et âgé, Freud a échappé au bucher que lui destinait sans faillir la barbarie nazie. L’humanité a sauvé un vestige. Et le vestige a donné du fruit, des descendants, des dissidents, des controverses,  des ennemis, des critiques, la vie !

Freud a utilisé la quatre-vingt troisième année de sa vie à reconstituer à l’identique le cadre de son existence viennoise, à y installer sa famille qui lui a survécu cinquante ans sur place, à écrire deux livres, à recevoir ses patients et à correspondre avec la fine fleur de l’intelligentsia analytique européenne.  Puis, la souffrance du cancer à la mâchoire qui le taraudait depuis seize ans se faisant trop forte, il a demandé à son médecin de lui prescrire la dose de morphine fatale. On-off.  Façon Samurai.

Un destin célèbre et pourtant énigmatique, éternel aussi à l’image du cerisier en fleurs devant chez lui, ce  perfect blossom ou la quête de toute une vie que rappelle Katsumoto, un autre guerrier :

« The perfect blossom is a rare thing. You could spend your life looking for one and it would not be a wasted life”.1

Respect.

  1. « Une floraison parfaite est exceptionnelle. Qui passerait sa vie à la chercher n’aurait pas perdu son temps » . The Last Samurai , Edward Zerick, 2003

« Soyons heureux en attendant le bonheur »

Une déferlante. Depuis le trajet taxi TGV joyeusement rythmé par le hit  « Happy »  de Pharell Wiliams, je croise « Happinez » au Relais H de la gare, la nouveauté magasine du mois « féminin, positif, inspirant «  avant de tomber sur « Et n’oublie pas d’être heureux », le dernier ouvrage de Christophe André. Happy mode, donc, en ce début d’année, relayé par une foultitude d’articles sur le thème dans les media. Un smiley inédit dans notre inconscient collectif, avec cette subtile exception française qui fait qu’on l’accepte mieux, ce bonheur, quand il sonne à l’anglo-saxonne. Happy semble plus appétissant qu’heureux, état compliqué pour nous, peuple défiant qui redoutons toujours la confusion entre sourire et crétinerie. Mais happy, pourquoi pas ?  Besoin d’expression lié à une harmonie personnelle et collective ou nécessité de compensation face à une réalité difficile ? Quand on jette un œil sur l’étymologie du mot heureux, soit « euros », un terme du XIème siècle d’une pertinence très actuelle dix siècles plus tard qui qualifie « celui qui a de la chance », on penche directement pour la seconde option. Et on se pose la question.

Suis-je heureux(se) ? Là, deux options. La réponse jaillit, évidente, impérieuse. Oui ! Ou rien ne vient ni ne viendra. On fouille, on s’interroge, confus, sombrement circonspect. Non, bien sûr, on ne trouve jamais qu’on est heureux quand on y réfléchit. Le bonheur est un état associé où nous vivons plutôt que de nous regarder vivre, une harmonie que nous ressentons sans analyser. Heureux, nous sommes unis, avec nous-mêmes et  l’extérieur aussi. Les aimés que nous avons la chance de tenir dans nos bras, les passants que nous regardons depuis  une terrasse de café ou un parc, affalés sur l’herbe ou sur un banc, adossés à un arbre, le silence et la paix qui nous gagnent quand nous contemplons et nous laissons absorber par plus grand que nous. Rien d’une dissociation tête-cœur, pensées- émotions qui scruterait pour mieux les comptabiliser nos éventuels stigmates de bonheur.

On s’oublie. On s’élargit. On s’amplifie quand on est heureux. Ce qui n’implique pas forcément  l’immobilité. Un ami me faisait récemment remarquer qu’en « langue des oiseaux » (idiome alchimiste fait de correspondances subtiles entre les sons et les mots), le « Wake up ! » des anglais pouvait aussi s’entendre « Way cup » . En avant vers la coupe ! Ou ce fameux Graal, objet des croisades des chevaliers du Moyen Age, qui aurait recueilli le sang du Christ. Quête ultime.

Pour certains, la quête s’arrêtera à la cup du coin, soit la tasse de café du matin qui se suffira en petit bonheur. Pour d’autres, elle se poursuivra dans l’activité afin de la remplir, cette coupe, de projets, d’envies, de succès, voire. Les visages exaltés, réjouis, intensément heureux des athlètes de Sotchi  ainsi que de leur entourage, donnent une idée du happy mode quand des mois d’entraînement et de labeur explosent en succès et médailles étincelantes. Etat de flux dirait  Mihály Csíkszentmihályi1  soit une implication tellement intense dans le moment que la notion du temps et le sens-même du moi disparaissent. Sans aller jusqu’à la performance olympique, on le ressent quand  on se livre à fond à une activité, sportive, créative, aimante, qui mobilise nos capacités. Le temps disparait, plus rien d’autre n’existe. Mobilisation totale. Ici et maintenant. A la bonne- heure.

Quand on a ressenti cet état et goûté son infinie douceur, joie inexprimable d’un instant ou d’une échappée hors des irritants de nos quotidiens, on l’invite dans nos vies. On en fait une posture. On décide d’être heureux… en attendant le bonheur, comme le titre de ce post emprunté à la géniale MissTic, cette artiste qui peint dans la rue, sur les murs et trottoirs de Paris, abandonnant à nos pieds ses messages de joie et d’humour. On prend la posture, on fait les gestes comme disait Pascal, et le miracle de la joie arrive. On se sent mieux. Happy au quotidien, pour mieux le partager. Voir le visage d’un happy humain en face réjouit. Sinon, ça n’a pas de sens, comme le découvre avant de mourir Chris, le sublime et tragique héros du film « Into the Wild »2  à l’issue de son immense et solitaire quête du Graal vers l’Alaska.

« Happiness is only real when shared ».

Soyons réels, soyons heureux aujourd’hui. Bon mardi!

1Mihály Csíkszentmihályi , La Psychologie du Bonheur, Paris, Robert Laffont, 2004
2Into the Wild, Sean Penn, 2007

« Le Recursive Loop ou l’Effet Boomerang »

Dimanche dernier, en partance pour une « matinée » théâtrale à 18h, première facétie d’une journée chaotique. Direction Haïm, à la lumière d’un violon , salle Gaveau ou un hymne à la mémoire et à la musique via le récit bellement conté par Mélanie Doutey et ses merveilleux musiciens, de la vie d’un violoniste juif survivant des camps. Joie de terminer ou de commencer, c’est selon, la semaine sur du beau.

J’enfile mon manteau, me saisis d’un chapeau et descends dans la rue. Et là, l’assaut ! Des hurlements, des sirènes, des invectives remontent le long des avenues. Les camionnettes blanches rayées de bleues passent à toute allure, chargées de cargaisons de CRS tout de noir et cuir vêtus. Par dizaines, ils s’alignent le long des avenues, occupent les carrefours. Bottes de biker, boucliers et casques anti-émeute, gilets pare-coup, matraques et menottes en acier chromé. Les forces armées sont en place. Totale défense. Contre quoi ?
« Une manifestation anti-fasciste. En dispersion » me répond un jeune CRS, l’air las sous son calot.

De fait, entre hurlements et sifflements épars, je vois remonter de vagues treillis ou de tristes lodens, des marcheurs fatigués, démarche chaloupée voire carrément avinée, de porteurs de canettes au camp indéfinissable. Pas facile de deviner qui lutte contre qui. Une chose sûre, manifester donne soif. Quelques regards m’alertent. Mes bottes hautes, ma gabardine et mon feutre noir me donneraient un look…. fasciste ? Erreur, je rends hommage à feu Breaking Bad, une série mettant en scène l’évolution de carrière d’un professeur de chimie devenu le féroce Heisenberg, alias un trafiquant de drogue reconnaissable à son chapeau noir. Ou ma prise de conscience, tardive, d’être complètement passée à côté du potentiel de cette matière quand j’étais au lycée.
Humour ! Comment expliquer aux factions déchaînées, émanation d’un peuple sans grâce, prompt à s’enflammer et à reporter sur autrui ses frustrations que ma tenue n’a pas plus de signification qu’un col roulé rouge qui aurait été arboré le dimanche de « Jour de colère », manifestation anti-PMA, anti-GPA, la semaine dernière ? Trop d’anti en ce moment, slogans de haine et de rejet de l’autre.

« Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté » (Matthieu 12.22-29).
Cette demi-heure de marche encadrée de haies de CRS en ce jour de repos m’a évoqué l’enfer d’un séjour à Belfast dans les années 90, quand la ville frémissait de la tension d’une guérilla urbaine sous-jacente entre  républicains catholiques et unionistes protestants. Quand elle ne tenait que sous la poigne de fer de quadrillage policier britannique.

Anti-fasciste ? Le voici, le recursive loop,  la boucle infernale ou l’effet pervers de tout acharnement antagoniste. Il provoque ce qu’il combat. Il intensifie ce contre quoi il lutte. Boomerang fatal. Manifester contre le fascisme donne aux belles avenues de ce qui a été une ville inspirée des allures d’état policier. A feu et à sang, tous contre et en colère, manipulés, furieusement agités par des manœuvres de division aussi vaines que dangereuses. A preuve, les 500 taxis mobilisés hier en Ile de France dans le cadre d’une opération escargot anti-VTC, toujours les acronymes pour déshumaniser un processus de purge et de peur, responsable de  retards subséquents et autres désorganisations en tous genres. Taxis en grève au bord de la crise de nerfs, titre Le Monde. Du coup colère et baisse de moral chez les honnêtes gens qui se demandent s’ils font bien de le rester.
Peut-on redresser la France ? interroge, circonspecte, l’édition du Times cette semaine en prenant à parti le président français qui répond : « Yes we can but faster ». Pourquoi pas « harder », tant qu’on y est ?

Halte-là. Vitesse, précipitation, bruit et fureur ne peuvent rien pour ce pays s’ils entraînent encore plus de caricatures, de stigmatisations hâtives, de conflit d’opinions  et de division. Il nous manque du pour.
Trouvons des raisons d’avancer ensemble plutôt que de nous battre les uns contre les autres. Imaginons des projets, mettons en réalité nos rêves, construisons nos idéaux d’accomplissement individuel et collectif. Persévérons posément au-delà de la déstabilisation des tempêtes  qui détruisent et désespèrent. La « foule sentimentale  avait soif d’idéal » il y a vingt ans, déjà, dans la chanson de Souchon. A elle de les trouver, ses idéaux. Et nous, hommes et femmes de bonne volonté, d’y contribuer.

PS/ La raréfaction des posts depuis plusieurs mois était due à la remise d’un manuscrit pour mon éditrice qui sortira en mai, gros projet en phase avec les thèmes évoqués ici et dont je parlerai plus tard. Le rythme reprend. A bientôt !

Flash de Noël

Galeries Lafayette, Printemps, BHV, Bon Marché…. Les lumières fusent, guirlandes, lanternes et lampions d’une fête dont on peine à se rappeler l’origine  pour peu qu’on s’en donne la peine.

Noël.

Cadeaux, gros repas et stases en famille pour les nantis, solitude et froid pour les autres, dehors, dans la rue. Tous sous la lumière ! Débauche d’énergie maximale- 1300 mégawatts pour la saison parisienne, soit une facture de 2 millions d’euros. Nos ancêtres païens avaient institué ces rituels de lumière propres à célébrer le solstice d’hiver, ce moment magique où du fond des ténèbres de la nuit la plus longue surgit une lueur, l’espoir du renouveau. La tradition judéo-chrétienne a suivi, attribuant au Dieu de la Genèse le pouvoir de séparer les ténèbres de la lumière, mettant ainsi fin au chaos primitif- succès discutable à la vue des artères enguirlandées, tonitruantes d’embouteillages et de klaxons en ces samedis précédant « les fêtes ».

Et pourtant, c’est dans cette ambiance survoltée à tous les sens du terme que je l’ai eue, mon illumination de Noël ! Un flash de compréhension soudain, Boulevard Haussmann et à vélo, entre un 4X4 Mercedes qui amorçait un virage farouche à la Michael Schumacher, coupant la route de la berline banlieusarde qui cahotait à hauteur de ses roues, noyée de paquets cadeaux et d’enfants toutes fenêtres ouvertes devant les vitrines des grands magasins, par ailleurs recouvertes de chalands agglutinés façon mouches. Chaos par KO. Violence sourde, mon âme s’est envolée.

Coincée entre ces David et Goliath motorisés, je suis partie rejoindre les débuts d’un nourrisson à Bethleem, le fameux Jésus à l’origine de cette frénésie collective. Jésus nomade, grand arpenteur d’une Galilée incertaine, Jésus rassembleur, auteur de guérisons physiques et mentales, humble faiseur de miracles qui demandait toujours avant d’officier :

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? », modestie transmutée dans l’arrogance du « Que puis-je faire pour vous ? » de l’homme d’affaires derrière son bureau. Jésus, grand amateur de lumière pour lui et pour ceux qui en avaient le plus besoin- les aveugles réels ou symboliques à qui  il rendait la vue.

« Je suis la lumière du monde. Celui qui marche à ma suite aura la lumière de la vie ».

Evidence.

Un flash a dénoué le fil laborieux de mes séances de catéchisme d’enfance et de leurs diktats indigestes. Fini le messie rédempteur, envoyé au trépas par son Père pour un sacrifice censé racheter mes péchés passés, présents et à venir, ainsi que ceux de mes semblables. Adieu le malaise d’un Credo non assumé, le flou d’un Noël sans raison.  Le présent est ailleurs, dans tous les sens du terme. Ce prophète massacré à trente-trois ans sans fuite ni reniement,  son corps abandonné dans l’ouverture suprême, nous a offert le seul vrai cadeau.  Ecartelé, suspendu, crucifié, il a sauté le pas.  Pour nous dire de la façon la plus concrète, humaine et vraie possible, que la mort n’est qu’un passage, pas une fin. Que, pari de la foi,  l’âme existe, infinie lumière et particule de vie, de toute forme de vie- paradis, réincarnation ou autre, à nous de poser la représentation qui nous convient. Jésus est mort pour que nous n’ayons plus peur de la mort.

Ceux qui avaient déjà compris souriront. D’autres grimaceront. Et certains feront comme moi. Visage ouvert et respiration ample, ils célébreront Noël. En vérité.

« Mercredi, jour des adultes »

Un mercredi. Cela ne pouvait se passer un autre jour pour que remontent avec une telle acuité les émotions puissantes, vraies, de l’enfance. Rappelez-vous. L’ennui d’une journée de classe sans grâce, la souffrance d’une injustice contre laquelle vous n’avez pas d’armes, le chagrin devant la détresse d’un clochard assis dans le caniveau, l’effroi d’une consultation d’un dictionnaire médical dans la bibliothèque familiale, litanie de maladies et de symptômes sournoisement multiformes qui, à vos sept ans révolus, vous étrangle du constat que vous n’allez pas vous en sortir- intuition pas foncièrement fausse. Les émotions de l’enfance ne s’expliquent pas pour qui les éprouve, tant elles surviennent avec l’intensité d’une bourrasque. Et passent aussi vite. Il suffit d’un sourire du grand de la cour de récré qui vous snobe depuis la rentrée, d’une bonne note à laquelle on ne s’attend pas, d’un copain qui vous donne un de ses Prince au chocolat, pour vous rétablir dans votre royauté d’enfant.

Cette royauté cèdera-t-elle la place à la misère de l’adulte, cette grande personne chargée de responsabilités et de contraintes, limitée par ses peurs, figée dans la construction périlleuse de sa vie professionnelle, cette persona qui constitue son assurance-vie ? Les Grecs nommaient de cette façon le masque que revêtaient les acteurs de l’Antiquité, ce qui leur évitait de blasphémer en jouant à visage nu d’autres identités que la leur. Jung a érigé en principe de vie en société cette personnalité extérieure, accessoire utile pour habiter son rôle professionnel en le distanciant de l’intime, ainsi protégé. Oui, mais pour qui œuvre dans ce qu’on appelle les « grandes organisations »- entreprises, associations ou autres groupements d’intérêts humain, trop souvent le masque pèse, occultant le sens de l’action derrière les pièges de la politique d’entreprise, les glissements entre compromis et concessions qui, nous entraînent peu à peu vers le cimetière personnel où, au sens propre, elles se terrent, nos concessions.
Bref, les professionnels de l’entreprise, salariés comme fournisseurs, connaissent l’inconfort de cet épaississement du masque sur le visage, cet alourdissement du maquillage social qui donne si souvent l’envie d’un ressourcement régressif à l’enfance, à la nature, aux animaux. La vie. Pour de vrai.

Ou bien, miracle, ces ressourcements déchirent le rideau de notre théâtre quotidien pour nous toucher là où nous sommes. Comme pour moi, ce fameux mercredi, dans une rame de métro, au sortir d’un rendez-vous qui a concentré  les ambigüités de la posture de coach, celui qui orchestre la symphonie des besoins de l’entreprise et de ceux des salariés qu’il accompagne.  Enjeux politiques pour jeux de pouvoir, faisceau d’intérêts divergents, histoires d’ego en mal de reconnaissance …. Le masque a fait ce qu’il a pu. Et pèse encore sur mon visage qui s’appuie contre la barre de métal du métro qui m’éloigne du théâtre d’intervention.

Crissement des roues, ouverture de la porte. Une canne blanche tâtonne. Les assis regardent, circonspects. L’aveugle, un jeune homme,  chancelle dans la travée entre les sièges. Je tends une main vague, par ailleurs inopérante car il ne la voit pas. Il plaque son dos contre la porte, montrant qu’il n’a besoin de personne.

-Je descends dans trois stations, marmonne-t-il.

– Venez, vous serez bien! réplique d’une voix forte, mon voisin, un moustachu râblé d’une soixantaine d’années, tassé dans sa vareuse. Il tapote de sa grosse main le siège à côté de lui.

L’autre tressaille, contourne deux passagers qui replient prestement leurs jambes, la mine coupable. Il s’assied, blotti dans l’espace qu’on lui offre. Les deux hommes se parlent, penchés l’un vers l’autre, puis se taisent. Le moustachu regarde devant lui, puis il fronce les sourcils et se tourne vers son voisin, petite vérification.

Là, je capte son regard. Attentif, humble. C’est normal d’aider celui qui ne voit pas, disent ses yeux plissés sous les rides, c’est juste de guider celui qui s’oriente mal, c’est bon de garder une place pour celui qui a besoin d’être accueilli. Coach, mot anglais qui vient du français coche, celui qui conduit l’attelage.

Coach, bien sûr, cet homme l’est, au coeur! Troisième station. L’aveugle se lève et passe devant moi qui tends à nouveau la main pour le guider vers la sortie. Peine perdue. Il me dépasse et s’oriente d’une canne experte dans les couloirs. Coaché, le voici qui me coache à mon tour. Je suis, guidée par ce jeune aveugle à canne blanche. Alléluia! La vérité m’a rattrapée via le geste d’un inconnu aux allures de paysan parisien. Retour aux fondamentaux de mon métier. La bienveillance, l’attention, la parole et le geste justes, même dans le métro. De nos métiers, d’autres parfois en disent la vérité sans besoin du masque social pour cela. L’enfant en nous le sent, l’adulte s’en inspire pour finir la semaine.  Merci, mercredi !

« Le succès moi non plus »

Dans une période de l’année où nous nous gargarisons via mails, courriers ou expressions vocales à défaut d’être originales, de vœux de bonheur, amour et succès marmonnés sans trop regarder, je recommande un autre message pour 2013. Celui que délivre « Sugar Man », un film de Malik Bendjelloul sorti en décembre dernier, un conte de Noël aussi bouleversant qu’intrigant. Qu’on en juge : le protagoniste ou anti-héros s’appelle Sixto Rodriguez. Il signe à 27 ans en 1969 deux albums pour un label américain après avoir été repéré par des ténors du milieu qui lui prédisent le succès à l’écoute de ses titres égrenés dans les bars de Détroit. Un univers, une voix, un nomadisme mystique, fusion de ses ascendances latino- indiennes. Le bide. Ses albums ne se vendent pas. Trois ans plus tard, il disparaît, soit disant suicidé sur scène devant son public. On le croit mort… sauf à l’autre bout de la planète, en Afrique du Sud ! En plein Apartheid, un de ses titres s’est infiltré via une touriste américaine dotée d’un magnétophone (frustre ancêtre d’une des fonctions de l’iphone- NDLR pour jeunes générations). Succès effarant, le titre se multiplie, ouvre la porte à ses single de frères, son œuvre devient le tube de plusieurs générations et plus avant, l’emblème des mouvements de révolte des jeunes Afrikaners décidés à faire évoluer un régime politique fondé sur la répression et le racisme. En quelques années, Sixto Rodriguez, dont personne ne connaît autre chose que sa  photo de couverture en jean, tee shirt et lunettes noires, devient la star absolue du pays, vendant plus de 500 000 disques et gagnant des disques d’or… qu’il ne viendra pas chercher pour la bonne raison qu’il n’est juste pas au courant !

La star de l’autre bout du monde reste un ouvrier, un hard worker américain qui empile trois boulots pour faire survivre sa petite famille dans la froidure de Détroit. Un laborieux qui ne connaît pas son succès, ou plutôt- et le secret de ce film tient à cette zone d’ombre impressionnante- un anonyme qui ne VEUT PAS de ce succès. Car à deux reprises, cet artiste, consciencieusement dépouillé par son label qui ne l’informera pas de sa prospérité malgré la vente des droits de sa musique- business as usual- refusera de changer sa vie. Lorsqu’en 1998 il est retrouvé par des musiciens sud-africains passionnés de son œuvre et qu’il joue six concerts à guichet fermé devant près d’un million de spectateurs survoltés par la résurrection d’un artiste qu’ils pensaient mort, il s’exécute avec un talent miraculeux pour qui n’a pas chanté depuis des décennies….puis retourne à sa vie d’avant. Back sur son chantier de Détroit, la neige en baskets à 6 heures du matin et les copains travailleurs un peu surpris de le retrouver, car ils ont vu le spectacle sur Youtube. « On aurait dit Woodstock !! » s’en étrangle un d’entre eux, au-delà de l’estomaqué. Re-belote, vingt ans auparavant, c’est l’Australie qui le détecte, l’adore pour quelques concerts. Avion, carrosse en limo, Sixto monte sur scène, livre une prestation enchanteresse….et repart, citrouille again.

Rien d’autre. Comme si les paroles irrévérencieuses, foncièrement rebelles de son œuvre, prenaient chair dans son destin. La congruence, la fidélité à soi-même, l’intégrité – ce que la culture anglo-saxonne célèbre d’un « walk your talk » ou la mise en pratique dans sa vie de ses convictions. L’auteur du titre « The Establishment Blues», d’une éternelle actualité, a inscrit cette parole dans sa vie, à l’inverse des Rolling Stones de la même génération qui ont traduit leur « Can’t get no satisfaction » de façon différente: luxe, paillettes et béatitude financière entretenue jusqu’au bout, jusque dans l’animation récente de soirées privées pour banquiers d’affaires.

Sixto Rodriguez bouleverse, parce qu’il reste un homme simple, une âme paisible dans un destin d’ouvrier de Détroit, un génie doté d’une famille et de parpaings à soulever sur le chantier, un artiste qui dort sur le canapé de la suite du palace qui l’accueille pour sa tournée triomphale en Afrique du Sud parce qu’il ne veut pas déranger. Ou qui ne conçoit pas de plaisir spécifique à s’étaler dans un king size bed. Un sage aussi qui sourit devant cette bona fortuna de dernière heure, mais qui ne s’excite pas dans l’hybris ou les propos hystériquement modestes. Il a été traversé par le génie de l’inspiration comme un siècle plus tôt le jeune Rimbaud, un autre nomade, l’a été avant lui. Trois ans de grâce dans les deux cas. Trois ans de prêche, comme Jésus avant d’être crucifié. Acceptation. Sixto a lâché quand le courant de la vie l’a porté ailleurs.

La lose! s’effareront les piquousés au trio gloire, triomphe, réussite.  Pas de pugnacité ou d’esprit de la « gagne » ? Eh oui. Quand on lui demande de commenter son premier album « Cold fact », une merveille de texte, voix, orchestration, il conclut « J’ai fait de mon mieux », sans exaltation ni  foi particulière en son talent. Il n’y croyait pas, et de toute façon on n’en voulait pas, de ce latino venu trop tôt dans une Amérique blanche. Il s’est contenté de chanter tant qu’on lui a permis de le faire. Ensuite il n’a pas forcé son destin, juste conservé ses idéaux de chaman musical, les appliquant à sa quête personnelle- maîtrise de philosophie à 40 ans pour cet ouvrier des chantiers, soutien aux associations pour les démunis, tentatives d’obtention d’un mandat politique- sans résultat bien sûr. Le succès moi non plus, serait-ce la sanction de tout projet qui n’intégrerait ni opportunisme, ni compromission ?

Qu’est-ce qui nous ouvre le cœur et fait monter les larmes aux yeux dans ce film ? La modestie touchante d’un être christique sans le savoir ni le vouloir, une grande âme inconsciente de sa rareté, l’humilité d’un destin ultimement accueilli ? Un autre Jésus Christ Super Star? Avatar de l’Amour, ça c’est sûr.

Dis âme, Diam’s ?

Nous, spectateurs, fans de tout poil et couleur de cheveux, aimons nos artistes qui nous rassemblent dans l’admiration et la liesse des concerts. Après avoir rempli l’ensemble des stades, Zenith et salles de spectacle de la francophonie rappeuse, Diam’s s’est retirée. Trois ans de silence et un coming out médiatique lié au lancement de son autobiographie cet automne- un succès forcément, le dimant ne ment pas. Nous apparaît dans son interview vidéo pour TF1 le visage sans fard et sans cheveux, voile oblige, d’une jeune femme en burqa, qui célèbre sereinement un Islam de paix et d’amour où elle a dit avoir  trouvé sa vraie nature.

Pour moi qui avais reçu un coup au plexus aux premières mesures de « Dans ma bulle » le titre éponyme de son album- phare (plus d’un million de ventes) un matin dans ma voiture, cette vidéo a produit le même résultat. Estomaquée.

Lumineuse sous les replis de sa tenue, elle explique le sien de repli, salvateur pour qui n’assumait pas le succès. « J’essayais de trouver du plaisir  en interview, dans la jet set, dans les soirée hype ». Effort remarquable pour nourrir les à-côtés indispensables d’une carrière de star- 10 ans tout rond- mais le couperet tombe : « Je kiffais pas » et, plus, « Je n’étais rien ».

Face à la dépression, survient la découverte de la prière grâce à une amie croyante, puis la conversion à l’Islam à laquelle ses origines de franco-chypriote baptisée et communiée dans la religion catholique ne la préparaient pas vraiment. Revirement suspect  dans un pays farouchement laïc et ce, d’autant plus que ladite religion se voit : cinq prières quotidiennes, le voile, le ramadan. Ce choix, la chanteuse  l’explique avec finesse dans un récit touchant de simplicité, de vérité et de désespoir aussi, un témoignage atypique d’une quête spirituelle dans le monde du show biz.

Cette histoire qu’on a envie d’appeler « épopée » quand on aime l’artiste et qu’on espère qu’elle sortira au moment juste du mode « pause » qu’elle revendique aujourd’hui, incarne pour moi quelque une des ambivalences de notre époque.

D’abord le rap, de colère fiévreuse et contestataire, s’accommode mal du succès. Prospère et bien nourri, exfiltré de sa banlieue jusqu’aux lambris luxueux d’un appartement du 16ème, son protagoniste perd de facto la sincérité de sa violence, sa révolte quintessentielle. De la même façon que Gandhi ne pouvait pas être obèse, « un rappeur à l’ISF, c’est pas zef ».

Me reviennent à ce propos mon malaise devant les prestations récentes des Rolling Stones dans leur tournée européenne.. « I can’t get no…. ». Satisfaction, eux ? Le déhanché de Mick appuie où il faut, mais ces ondulations ne tournent pas rond.  Comme un décalage de sincérité.

Le rap parle d’une époque d’impatience et de frustration, d’envie d’exister à travers marques de luxe et signes ostentatoires, où l’instantané d’une colère sort direct à l’antenne. «Pas besoin de savoir chanter ou jouer d’un instrument » remarque Diam’s . Pas d’étapes ni de travail, donc, pas d’heures englouties à peaufiner le jeu d’un instrument, ce qui prépare aux aléas et aux épreuves forcément rugueuses  d’une vie d’artiste. Et  légitime le succès aussi pour qui a laborieusement œuvré, au contraire d’une jeune pousse de banlieue tôt repérée dont le « Pourquoi moi ? » alias « Le vaux-je bien ? » a fini par devenir le mantra de sa dépression.

Enfin le plus troublant dans cette Diam’s au visage serein sous le voile, c’est la simplicité de son rapport à la prière, sa pureté de propos qui m’ont évoquée, sous son voile à elle et un siècle plus tôt dans sa banlieue normande… la toute jeune Thérèse de Lisieux. « L’histoire d’une âme », son autobiographie à elle, météore disparue de notre terre à 24 ans, scande dans les rythmes de son époque une quête d’absolu, un destin transcendé par l’amour pour la création, l’émotion pure devant les merveilles du ciel et de la nuit, des fleurs, des étoiles, l’infini.

L’évocation pourra faire bondir, une Sainte et une chanteuse !, pourtant j’ai entendu dans les deux récits comme les échos d’un rap mystique, universel dans ses formes et époques, qui engloberait les Psaumes, le Nouveau Testament et aussi le Coran cité avec jubilation par Diam’s dans son autobiographie :

« Allah, c’est Lui qui a créé les cieux et la terre et qui, du ciel, a fait descendre l’eau, grâce à laquelle il a produit les fruits pour vous nourrir….Allah vous a créés. Puis il vous fera mourir. »

Diam’s scandant le Coran« ça le fait » diront ses fans, on y entend sa voix, ses accents, sa franchise  et ses provocations.  Diam’s  qui nous rappe le Coran, c’est ok. Juste que le Coran  ne nous happe pas notre artiste, wesh !