« Le Recursive Loop ou l’Effet Boomerang »

Dimanche dernier, en partance pour une « matinée » théâtrale à 18h, première facétie d’une journée chaotique. Direction Haïm, à la lumière d’un violon , salle Gaveau ou un hymne à la mémoire et à la musique via le récit bellement conté par Mélanie Doutey et ses merveilleux musiciens, de la vie d’un violoniste juif survivant des camps. Joie de terminer ou de commencer, c’est selon, la semaine sur du beau.

J’enfile mon manteau, me saisis d’un chapeau et descends dans la rue. Et là, l’assaut ! Des hurlements, des sirènes, des invectives remontent le long des avenues. Les camionnettes blanches rayées de bleues passent à toute allure, chargées de cargaisons de CRS tout de noir et cuir vêtus. Par dizaines, ils s’alignent le long des avenues, occupent les carrefours. Bottes de biker, boucliers et casques anti-émeute, gilets pare-coup, matraques et menottes en acier chromé. Les forces armées sont en place. Totale défense. Contre quoi ?
« Une manifestation anti-fasciste. En dispersion » me répond un jeune CRS, l’air las sous son calot.

De fait, entre hurlements et sifflements épars, je vois remonter de vagues treillis ou de tristes lodens, des marcheurs fatigués, démarche chaloupée voire carrément avinée, de porteurs de canettes au camp indéfinissable. Pas facile de deviner qui lutte contre qui. Une chose sûre, manifester donne soif. Quelques regards m’alertent. Mes bottes hautes, ma gabardine et mon feutre noir me donneraient un look…. fasciste ? Erreur, je rends hommage à feu Breaking Bad, une série mettant en scène l’évolution de carrière d’un professeur de chimie devenu le féroce Heisenberg, alias un trafiquant de drogue reconnaissable à son chapeau noir. Ou ma prise de conscience, tardive, d’être complètement passée à côté du potentiel de cette matière quand j’étais au lycée.
Humour ! Comment expliquer aux factions déchaînées, émanation d’un peuple sans grâce, prompt à s’enflammer et à reporter sur autrui ses frustrations que ma tenue n’a pas plus de signification qu’un col roulé rouge qui aurait été arboré le dimanche de « Jour de colère », manifestation anti-PMA, anti-GPA, la semaine dernière ? Trop d’anti en ce moment, slogans de haine et de rejet de l’autre.

« Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté » (Matthieu 12.22-29).
Cette demi-heure de marche encadrée de haies de CRS en ce jour de repos m’a évoqué l’enfer d’un séjour à Belfast dans les années 90, quand la ville frémissait de la tension d’une guérilla urbaine sous-jacente entre  républicains catholiques et unionistes protestants. Quand elle ne tenait que sous la poigne de fer de quadrillage policier britannique.

Anti-fasciste ? Le voici, le recursive loop,  la boucle infernale ou l’effet pervers de tout acharnement antagoniste. Il provoque ce qu’il combat. Il intensifie ce contre quoi il lutte. Boomerang fatal. Manifester contre le fascisme donne aux belles avenues de ce qui a été une ville inspirée des allures d’état policier. A feu et à sang, tous contre et en colère, manipulés, furieusement agités par des manœuvres de division aussi vaines que dangereuses. A preuve, les 500 taxis mobilisés hier en Ile de France dans le cadre d’une opération escargot anti-VTC, toujours les acronymes pour déshumaniser un processus de purge et de peur, responsable de  retards subséquents et autres désorganisations en tous genres. Taxis en grève au bord de la crise de nerfs, titre Le Monde. Du coup colère et baisse de moral chez les honnêtes gens qui se demandent s’ils font bien de le rester.
Peut-on redresser la France ? interroge, circonspecte, l’édition du Times cette semaine en prenant à parti le président français qui répond : « Yes we can but faster ». Pourquoi pas « harder », tant qu’on y est ?

Halte-là. Vitesse, précipitation, bruit et fureur ne peuvent rien pour ce pays s’ils entraînent encore plus de caricatures, de stigmatisations hâtives, de conflit d’opinions  et de division. Il nous manque du pour.
Trouvons des raisons d’avancer ensemble plutôt que de nous battre les uns contre les autres. Imaginons des projets, mettons en réalité nos rêves, construisons nos idéaux d’accomplissement individuel et collectif. Persévérons posément au-delà de la déstabilisation des tempêtes  qui détruisent et désespèrent. La « foule sentimentale  avait soif d’idéal » il y a vingt ans, déjà, dans la chanson de Souchon. A elle de les trouver, ses idéaux. Et nous, hommes et femmes de bonne volonté, d’y contribuer.

PS/ La raréfaction des posts depuis plusieurs mois était due à la remise d’un manuscrit pour mon éditrice qui sortira en mai, gros projet en phase avec les thèmes évoqués ici et dont je parlerai plus tard. Le rythme reprend. A bientôt !

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