« Full des foules »

Et voilà. Mercredi, jour des enfants, la semaine  d’après la rentrée. S’est-elle bien passée, pour petits et grands? Dans l’ensemble, oui, mais pas chez tous. Un goût parfois demeure, indéfinissable et pour autant prégnant, mélange de gris et grumeleux, comme une bouchée amère qui ne passerait pas. Une rentrée qui ramène à une forme de solitude, ou de non-communicable, des émotions qui rappellent l’enfance, une lassitude qui en résume la scolarité, une perspective construite- la rentrée orchestrée dans le Chronos et les achats obligés- sans forcément de lien avec la Vie.
« Pour moi, le début du tunnel » lâchent certains. « Le retour des problèmes » résument d’autres. « Je m’inscris à…la boxe, l’aikido, le stand up paddle », s’excitent les friands de recommencement. Ou encore, « Attendons de voir, avec la crise » soupirent, majoritaires, les fatalistes de l’apocalypse. Chacun sa méthode, chacun  son moteur.
Face à l’effervescence de ces stratégies, conscientes et inconscientes, je retrouve quant à moi mon syndrome du retour à Paris: l’asphyxie. Insidieuse, obstinée, l’apnée guette, qui me rattrape entre deux RDV, dans la rue, dans le métro, tous lieux concentrés de foules en ébullition .
« Il manque un truc….Ah oui! Respirer. » et j’avale la bouffée d’air dont mes poumons affolés hurlaient le retour depuis quelques secondes. Déconnexion. Le cerveau reptilien, responsable de la survie, s’éteint. Ne veut plus absorber. Quoi? L’air pollué, celui que rejette la ville, ou le souffle des frères humains tassés dans les transports en commun, remugle d’émotions, peurs et convoitises en tous genres? Trop de brassage, on se protège.

Cette réflexion sur le trop plein humain m’a rattrapée le week-end dernier en session cinématographique à Deauville. Réseau balnéaire si proche de la capitale, doublement assailli par le Festival du Film américain- ma destination, et par son public habituel, essentiellement parisien. Un soleil aveuglant, façon projecteur de cinéma qui darde et brûle les corps massés  sur la plage sursaturée d’un public désespérément acharné à « en profiter »- la formule du post-vacancier confronté à la fin de l’été. Pitié, encore un dimanche à la plage! Le décor était pourtant en place: serviettes dans le sable et maillots de bain garnis dessus, enfants sautillant dans les vagues, parents les filmant de leur téléphone, jet-skis et vedettes croisant au large, mouettes piaillant dans les airs, au-dessus de ?
Rien. J’ai traversé la meute qui recouvrait la grève, la foule qui gesticulait entre les vagues et le sable, les glapissements des iphones expirant sous le soleil, les grappes humaines partout affalées. Que ressentais-je? Rien. Où étais-je? Nulle part. Pas la place de vibrer. Il faisait sec, les peaux craquaient, paradoxe de la sécheresse au bord des flots. Pollution d’humains qui dévoraient la magie de l’endroit, sans réserve. M’est revenue la scène du meurtre dans l’Etranger de Camus, cette confusion de lumière aveuglante, d’absence à soi-même, d’absence aux autres. Une plage algérienne déserte là-bas,  un boulevard sablonneux sursaturé ici. Issue heureusement différente, mais déconnexion dans les deux cas.

Rassemblées et harmonisées, les foules peuvent transporter, créer voire. Sauvages et lâchées en promiscuité, au-delà d’une taille critique, elles violent l’espace, ravissent les lieux, en happent l’esprit, en foulent au pied les harmonies subtiles pour les réduire en terre battue de tracas et autre chaos. Pas sentimentales, non, comme le chantait Souchon jadis, mais lourdes et agitées, perturbées par le media-bashing  et autres perfidies de la rentrée politique.
Omniprésentes, ces foules infiltrent aussi les quatre murs de l’intimité des mots entre mes clients et moi. Car ils ne viennent jamais seuls, en individu, ces clients, mais en groupe, accompagnés par la famille, l’entreprise, le voisinage, le pays et ses échos médiatiques. Qui parle? L’être humain assis en face de moi ou la foule introjectée qui s’agite entre ses mots, l’emplissant de ses peurs et rumeurs? Nécessité de la purge pour le praticien psy confronté au drame du dentiste détartrant tel Sisyphe la dentition qu’inéluctablement recouvreront de nouveaux dépôts. Nettoyer sans fin les tuyaux d’une psyché promise à ré-encrassage ou…..
S’arrêter. Expirer. Retrouver sa proxémie- soit la distance juste entre soi et l’autre, soi et les autres. Regagner son espace.
Le silence, alternative puissante au full des foules. La solitude, choisie et ressentie.

« Ce n’est pas de la misanthropie, mais du discernement », résume un de mes amis, adepte des promenades décalées, nuit et petit matin dans les espaces régénérés- même à Paris ou Deauville! quand l’esprit des lieux peut respirer à son aise.  Bonjour le vide. On quitte la foule, on se retire. En soi, pour commencer. Temps de recentrage, d’écoute intérieure, de ressenti. Ce calme peut s’éprouver partout, dans une chambre, un coin de quelque part où s’entendent alors les perceptions, les intuitions, les besoins et voix intérieures de toutes sortes, esprit saint ou anges pour les uns, inspiration pour les autres.
Ce calme prend ses aises, tranquillement. Il s’installe chez nous pour mieux nous accompagner quand on ressort à l’extérieur. Il résiste aux intrusions, ne connaît pas la pression. Ancré en nous, il nous confirme dans notre vérité d’être humain, confronté à la réalité de notre destin, unique et spécifique. Un être humain, apte à se poser les justes questions. Quels projets, quels axes, quels choix cette année pour les petits scolaires que nous sommes restés? La rentrée nous le dira. La vraie, celle que nous ferons en nous-même.

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