« Propriétaire ou usurpateur ? »
J’ai observé que la démarche d’achat immobilier met en évidence deux profils.
Ceux qui achètent légers, insouciants, en série parfois. Une belle vue, accès commode via TGV ou aéroport, soleil ou ski en perspective et l’affaire est pliée. Propriétaires, ils ont pris place dans le paysage.
A l’opposé on trouve ceux que les agents immobiliers reniflent d’emblée, les acheteurs de sens, ceux qui compliquent le processus parce qu’il cherchent à le justifier. On ne s’installe pas n’importe où sans raison, disent-ils en substance, inspirés en cela d’un chamanisme inconscient. Cette terre possède une histoire propre. Elle ne nous admettra que si nous entrons en résonance avec elle. Sinon, nous l’occuperons, usurpateurs ou colonialistes.
Et le phénomène vaut autant pour la Corse, territoire notoirement sensible, que pour le Perche-Normandie.
Cette logique, consciente ou inconsciente, les rend attentifs, prudents, circonspects pendant le processus d’appropriation du lieu. Ils l’effleurent, y passent et repassent, réclament plusieurs visites, souvent à des horaires différents. Ils investiguent, se renseignent et… trouvent toujours la raison de leur achat, surtout si l’endroit leur plaît plus que tout !
On invoquera des origines, réelles ou fantasmatiques. Une lignée celte ou viking, un héritage cathare, la mythologie grecque, une passion pour tel ou tel artiste issu de la région, un attachement culturel ou culinaire J Qu’elle soit génétique, spirituelle, intellectuelle, cette résonance s’avère à mon sens indispensable pour justifier la prise de territoire.
Dans une époque où la surpopulation et l’épuisement des ressources naturelles font de la possession d’un lieu un privilège, on a tout intérêt à en estimer la vraie valeur. Au moment de l’achat, bien sûr, et ensuite quand il s’agit d’honorer cette possession- continuité encore plus nécessaire pour les investissements d’agrément que constituent les maisons secondaires.
Sinon le lieu risque de se venger d’être pris puis délaissé, quelle que soit la forme de ce désinvestissement symbolique : problèmes de plomberie ou de toiture, effondrement de terrain, tensions de voisinage, prédations ou agressions de l’environnement, plastiquage voire (cf la Corse, toujours).
Tout se passe comme si une fois acheté, le lieu réclamait un autre tribut : celui du cœur et de l’âme. Et tout le reste n’est qu’usurpation.
A jeudi !