« Chéri (e), je me sens rajeunir ! »

Notre rapport au temps m’évoque un escalator à l’issue trop certaine où s’entassent des comportements contrastés : ceux qui précipitent le mouvement en cumulant leur vitesse et celle de l’engin, ceux qui s’agrippent à la rampe et tanguent en arrière, ceux qui s’immobilisent et se laissent transporter. Quand je regarde nos emplois du temps, celui de mes amis, de mes clients, je constate une diversité de styles entre la course frénétique, la  désespérance nerveuse –« je n’y arriverai jamais », la gestion ferme des priorités, la désinvolture résignée- « à chaque jour suffit sa peine » et, plus rare, la lenteur choisie et surtout tenue. Grande variété dans la façon de traiter le temps… Qui nous le rend bien !

Cabossés, alourdis, desséchés, parcheminés, racornis, boursouflés, usés, certains affichent, souvent bien malgré eux, leur physique comme un étendard d’années de lutte pour la vie.

A l’inverse, denses et intenses, approfondis, comme sculptés en leur style unique, d’autres semblent profiter des ans pour croître et s’épanouir. A quatre-vingts ans, voire plus ! Pas un hasard s’ils sont souvent des artistes et pas toujours dans les disciplines artistiques où on les attend . A leur façon ils créent et s’amusent, dans leur bulle, qui les protège de la dictature du temps.
Car si «  ce qui est bien quand même, c’est qu’on vieillit tous en même temps », comme l’a un jour reconnu un de mes clients déprimé, grande différence dans la façon dont on accompagne le mouvement !

La temporalité aligne les heures de façon linéaire selon un découpage d’activités à caractère répétitif : temps de repas, de coucher, de  travail, d’activités personnelles et sociales. Plus on remplit, plus le temps s’efface. Il file et disparaît sous la succession d’activités qui l’a englouti.
L’atemporalité, elle, suspend cette enfilade par la grâce de moments différents, d’instants hors temps. Ils ne surgissent pas forcément à la faveur des clichés publicitaires :  le coucher de soleil de la lune de miel, l’instant de la demande en mariage qui l’a précédé, l’annonce de votre nomination au poste de directeur général ou de président de la république. Les instants hors temps ne se voient pas arriver. Humbles et discrets, ils métamorphosent pourtant  l’espace, élargissent les minutes, démultiplient les secondes et rajeunissent les visages.

Dans mon activité de coach et psychanalyste, je les chéris, car  ils allègent les heures d’écoute d’intensité inégale. Ils me réveillent.  Afflux d’énergie, je VOIS enfin qui j’ai en face de moi. L’expression de mon interlocuteur vient de changer. Les traits se détendent, les joues s’animent, les yeux brillent. J’ai vu des quinquas fatigués se muer en jeunes fous, des femmes d’affaires  évaporer d’une grâce facétieuse leur tailleur-pantalon. Epiphanies quotidiennes qui ne tiennent pas à la nature des sujets abordés, contrairement à ce que la vulgate d’affaires imagine. Les gens rajeunissent rarement à l’évocation de leurs chers enfants ou de leur hobby favori, surtout quand un professionnel en mission de relation trop souvent commerciale, en presse l’évocation. Ces caractéristiques, prévisibles et régulièrement affichées comme gage de normalité, s’énumèrent sans surprise ni vraie émotion.

En revanche, dans le même entretien, dans ce flot de mots échangés, soudain le regard s’allume. Il ou elle raconte comment il a contourné tel ou tel obstacle….mis en place l’impossible … retourné telle situation …vaincu tel ou tel opposant… surmonté tel drame… . Moments magiques où l’enfance pointe son nez : « On a été les meilleurs ! On les a eus ! La force était avec nous ! On a bien rigolé ! J’ai survécu ! »
Qui parle ? Pas ce quadragénaire stressé qui bataille les détails de son LBO avec le fonds d’investissement, pas cette musicienne qui aligne ses heures de gamme et autres exercices techniques, pas cette dirigeante ultra-occupée dont l’agenda du jour ne dégage pas de créneau disponible avant juin 2011. Non, j’ai face à moi un ludion. Un gamin irrespectueux, farceur, aux yeux qui pétillent et sautent avec chaque bulle de la vie. Il vit dans le présent. Il ne connait pas l’inquiétude du futur. Ill n’est pas alourdi par le rappel du passé. Il est là.
Quand on le reconnecte, via une grosse bouffée de respiration qui lâche le stress, un éclat de rire qui déchire la tension ou un bon mot, même et surtout limite, on rajeunit. Bien sûr, façon adulte, on peut aussi le rejoindre en méditant-pour-apprendre-à-se-connecter-à-son-présent.
Façon enfant, ça va plus vite. Suffit de lâcher- tensions, contraintes, obligations, pression, attentes et ambitions. Suffit de vivre. D’être.
« L’enfance est le tout d’une vie, car elle nous en donne la clef ». Ouvrez la porte !

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