« Quand tu te plantes, tu pousses »

L’appel au vert de ce post m’est venu un des longs week-ends dernier sous la pression de la canicule. Loin de la bouffée délirante que sa formulation  suggèrerait, il s’est imposé quand, farnientant tranquillement à l’écart de mon bureau, j’ai soudain pensé aux roses des balcons dudit, non arrosées depuis trois jours. Ou plutôt,  là est le trouble, les roses ont pensé à moi. Furtif le dimanche matin, l’appel s’est fait plus fort dans la soirée jusqu’à me réveiller dans la nuit et me pousser fissa le lendemain à me rendre sur place constater…. les dégâts.

SOS. Les roses m’avaient transmis leur détresse. Fanées, rabougries, repliées sur la terre desséchée de leur bac, ces créatures de lumière douceur et délices parfumés ployaient sous la fournaise d’un lundi férié sans pitié. Telle une super-héroïne de l’arrosoir, j’ai inondé, réparé, abreuvé tant et tant. Coma lorsque je suis repartie, régénération pendant la nuit. Le lendemain les survivantes de cet épisode caniculaire, car il y eut des victimes, renaissaient.

Le phénomène m’a troublée. Non adepte du délire végétal, je ne m’imaginais pas telépathant avec mes plates-bandes, communiant  avec des arbustes et, pourquoi pas, m’affligeant sur le sort des graines germées attaquées par la  méchante bactérie e-coli.  Pour autant, un appel est venu de ces roses, je l’ai senti. Et j’ai compris l’obsession du vert dans les halls d’entrée des grandes entreprises, le sens de ces ajouts de verdure qui, meme dans les plus austères des bureaux de la Défense, meublent les espaces de travail. Plantes de décoration le plus souvent, installées dans leurs énormes bacs emplis de terreau artificiel (substrat polyvalent, ça s’appelle). Présences horticoles convenues, invisibles à force d’être statutaires. Hormis un ancien client qui faisait trôner avec une subtilité rare un cactus de deux mètres de haut au milieu de son bureau , les hôtes desdits espaces ne voient par définition plus les plantes qu’on leur a installées. Qui les sauvent sans qu’ils le sachent. De façon invisible, elles doivent apaiser les tensions et encaisser les vibrations mauvaises.  Je pense aussi à ces cadres sup qui rallient leurs plantations de l’ouest parisien chaque soir et qui, à peine entrés, s’emparent du sécateur ( non, pas le remake de « Shining » à Vaucresson), ou encore le week-end s’enfoncent goulûment dans  la transe horticole de leur maison de campagne.

« Je pars vendredi à 15h, j’ai 250 jacinthes à planter » lâchent-ils l’air martial avant de bientôt, les doigts dans la terre, s’engloutir dans l’état de flux décrit par Mihaly Csikszentmihalyi, ces instants magiques où le temps n’existe plus. Moments bénis  dont les sortira peut-être un  « A table ! » aux relents d’enfance. Parenthèses  d’évasion aussi  face aux aspects les moins plaisants de l’existence. Témoin  le film de Fernando Mereilles, « The constant Gardener » ((2005) qui met en scène un fonctionnaire du Haut Commissariat Britannique en Afrique ( joué par Ralph Fiennes)  qui néglige les appels au secours de son épouse avocate devant les malversations locales des multinationales pharmaceutiques, au profit de… ses plantes qu’ il veille et surveille des heures entières, avec soin et amour. Jusqu’au drame qui le sortira de son cocon vert.

Nous avons tous nos soupapes ou territoires d’ absorption individuelle où se dissolvent les tensions, tracas et appels du monde. On peut les appeler des bulles ou, pour rejoindre le titre de ce post, nos échecs. Personnels ou professionnels, ces échecs nous centrent et nous font grandir. Qu’on plante ou qu’on se plante, on s’arrête. Sonnant le glas de nos ambitions ou certitudes ancrées, le phénomène contribue à la croissance. Face au stop imposé, aux lenteurs pénibles, on se met à penser plus large.  A comprendre qu’on ne tire pas sur l’herbe pour la faire grandir. A ré-envisager le rythme des saisons dans nos vies, le flux et reflux, plutôt que le paradigme de la dégradation qui panique tant- une sorte de « syndrome du produit laitier » résumé par un professionnel fraîchement licencié et croisé jadis qu’angoissait son attractivité sur le marché de l’emploi.

« Je suis en train de me périmer », répétait-il avec l’angoisse de l’ obsolescence du produit qu’il incarnait. Il avait 43 ans et depuis, merci  Dieu des yaourts, il a retrouvé un nouveau pot.

Bourgeon, floraison, déclin naturel ou coup de vent qui emporte la fleur- toutes ces étapes, nous les vivons dans nos vies. Et nous les revivrons en cycles, pensée rassurante quand on vient de se faire faucher par une restructuration, une réorganisation arbitraire, une chute du marché, une panne d’inspiration ou un choc personnel. Entretemps on aura grandi. Pris conscience de l’écart entre nos attentes ou timings personnels, admis que nous ne contrôlons pas forcément tout, même si nous orientons avec nos petits bras nos destins. Puis cette joie de se sentir humains, faillibles et aussi connectés à autre chose que nos egos, en l’occurrence malmenés ! Elle m’évoque le soulagement que nous avons tous ressenti lorsque les premières pluies de juin ont fait reverdir une France quasiment désertifiée. La terre souffrait, et sans peut-être le savoir, nous aussi.  Connectés, on vous dit !

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