Pitié pour les filles

Adaptation libre du titre du roman de Montherlant, « Pitié pour les femmes » publié en 1936 quand les femmes, justement, sortaient des foyers décrits ou plutôt décriés par l’auteur pour rencontrer la vie. Congés payés, vacances à l’horizon ou l’occasion de soulever les jupes pour enfourcher son vélo. Ouverture, liberté retrouvée, fragiles acquis ? Oui, l’actualité nous le montre chaque jour, mais pas comme on le conçoit.

Un exemple :  dimanche dernier, ayant décidé de délocaliser mon yoga matinal, j’intègre un parc bobo zen où entre lecteurs affalés sur la pelouse et jeux d’enfants à mes côtés, j’enchaîne les mouvements lents qui laissent le temps d’observer.
« Je veux qu’on rentre ! »
Constance. Je l’ai reconnue avant de la voir.
« Je veux qu’on rentre »
Le mantra, répété quinze secondes plus tard ne laisse aucun doute. Espèce femelle.
Agée d’environ sept ans, Constance arborait une robe smockée beige et marron, des socquettes roses et des ballerines blanches fermées par des petits boutons en nacre. Le dos rond, les bras ballants, elle avançait et reculait autour d’une poussette pour très grands nourrissons, apparemment la sienne, affalée sur le sol. Insensible à ses gémissements, son frère à peine plus âgé qu’elle et son père tiraient des pénalties à côté.
« Constance, viens jouer, promis, on en fait que dix ! » hurla, tout gesticulant, le frère, aussi hâlé et tonique que sa sœur était pâle et apathique. A croire qu’on en avait élevé un des deux dans le parking de la résidence.
« Je veux qu’on rentre » répondit la fillette avec un début de chorégraphie lacrymale qui fit craquer son frère.
« Tu me fatigues, ramasse la balle au moins !
-Max, tu es gentil avec ta sœur, intervint le père d’un ton ennuyé.
Ce regard.  Le garçon s’était rapproché, les yeux fixés sur sa sœur, la pulvérisant d’une projection de haine, supériorité, mépris. Un « Pitié pour les femmes »  en devenir.
Tandis que Constance, tête baissée sous le scud, geignait un énième « Je veux qu’on rentre », me sont revenues des phrases de Montherlant que j’aurais préféré oublier :
« La femme est faite pour être arrivée et rivée. L’homme pour se détacher et entreprendre ».
Affaire d’éducation, de modèles socio-familiaux ? Qui fige Constance à côté de sa poussette, qui l’empêche de lever le nez, de courir et de jouer comme l’enfant qu’elle est ? Qui, surtout, la contraint à psalmodier sa complainte, le nez dans ses chaussures, alors qu’il n’y a rien à dire, que les penalties auront lieu, que c’est d’ailleurs pour ça qu’on a pris le ballon ? Constance le savait en partant de la maison. Cela l’ennuyait, mais elle ne l’avait pas dit . Constance veillait sur ses ballerines qu’elle ne voulait pas salir. Constance snobait les fillettes qui lui tournaient autour car elle n’ étaient pas à son goût. On ne joue pas avec des enfants qu’on ne connaît pas. On fait attention à sa robe. Et on rentre à la maison.
Plus grandes, les femmes se plaignent, rarement les hommes. Elles encaissent et sont en colère, contre les hommes toujours. Elles ont le sentiment, réaliste, de se faire avoir. Elles traquent l’injustice et manifestent, une sorte de « Surveiller et gémir » pour parodier Foucault, car hélas, elles parviennent rarement à punir. Affaire de pouvoir. Affaire d’éducation des mentalités, des comportements, des approches de la vie aussi. Qui racontera aux filles que le monde n’est pas un repère de Bisounours ou alors en ajoutant parfois un « a » après l’initiale de ce sympathique divertissement pour enfants ? Qui, si l’on se réfère à l’actualité récente, expliquera aux filles qu’interviewer un homme politique réputé « chaud » dans un appartement désert n’est pas sans risque ? Qui révélera aux fausses naïves que le cocktail minijupe-décolleté ne vantera leur QI qu’au sens phonétique du terme ?
Il y aurait tant à dire aux filles… Qu’un dimanche matin de soleil vaut bien qu’on salisse sa robe à smocks, qu’un tir au but réussi justifie qu’on y écrase ses ballerines et, plus tard, quand elles seront grandes, que dire son fait directement à son patron ou son amoureux reste de loin plus efficace que les litanies téléphoniques à leurs copines.
Au moment où l’éducation nationale s’interroge sur l’identité sexuelle- fatalité ou choix ?- et polémique autour du contenu des manuels de SVT de première, il est bon de réfléchir sur la genèse et le renforcement des comportements dits « sexués ». Pour mémoire « Pitié pour les femmes » venait à la suite du premier roman du cycle de Montherlant, « Les Jeunes filles ». La prochaine étape pour petite Constance….

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