« FLIGHT OR FLIGHT »

Ce « fight or flight » qui serait la version exacte de ce titre, désigne le réflexe naturel qui nous viendrait en situation de survie, réflexe qui ferait lui-même appel aux ressources de base de notre cerveau reptilien : combattre ou fuir. Très développé dans les temps anciens dénués de lois, règles et protections sociales en tous genres, le kit de survie s’est à ce point dilué dans nos sociétés qu’on ne l’utilise plus guère dans sa version originale, comme j’en ai fait l’expérience récemment.
Combat ou fuite ? Fuite ou fuite plutôt.

Ce post est né d’une scène de vie banale qui pour autant ne laisse pas de contrarier, comme une salissure qui ne trouvera pas sur le marché du nettoyage sa promesse plus blanc que blanc. Et la métaphore de la tâche est en l’occurrence justifiée eu égard aux circonstances précises de l’affaire.

Des faits donc : pendant ces vacances de Pâques passées à la montagne, je me trouve assiette en main devant un buffet de desserts que j’envisage avec l’optimisme primesautier qui caractérise l’alimentation en période de ski intensif. En sweat-shirt et jean ( ces détails comptent), j’effectue une pause stratégique devant l’étal des glaces avant d’opter pour quelques douceurs légitimes ( l’état de conscience est clef dans ces moments là). Soudain, dans mon dos j’entends des propos, inqualifiables, ou alors à la façon Capitaine Haddock dans Tintin, pictogrammes à l’appui, inspirés par ma face postérieure, ou en l’occurrence toutes les faces postérieures des femelles adeptes de cet endroit du buffet. Car leurs auteurs blottis autour d’une table, discrète certes, mais stratégiquement placée, ricanent bruyamment à chaque passage féminin. De bons potes croisant francs et flatulents quolibets de quinqua qui n’ont pas décelé dans leur demi-siècle d’existence l’option finesse qui en règlerait la qualité. Bref, une tablée de huit hommes se gaussant haut et fort des corps des femmes exposés côté buffet, à côté des gâteaux et de la mousse au chocolat.
Les voix s’élevant à l’inverse de la légèreté des protagonistes, j’entends, meuglés dans mon dos, siège d’un inconscient sourcilleux sur le thème du respect, des propos qui provoquent en moi un mélange instantané de colère, rage, mépris et aussi, surtout, détresse. Le cocktail infernal. Le panaché des femmes dans nos sociétés.

Une bouffée d’adrénaline m’envahit et, mon assiette se trouvant ma foi fort pourvue- tarte aux fruits rouges agrémentés de sa boule de glace sous montagne de chantilly, une bouffée très « fight » me vient. Et si je me retournais pour entarter cash le fâcheux ?
En un éclair, je vois ses bajoues constellées de groseille, la chantilly dans ses narines, la glace à la vanille façon stalactite au bout des moustaches. Action-réaction, le degré zéro de la riposte façon puzzle.
Ma main tremble sous l’assiette. Je ne me retourne pas. Bug du circuit neuronal. Couvrant les tremblements précurseurs d’un déchainement physique, vient me plomber une phrase vissée au fond de mon cortex : « Ca ne se fait pas ».
Se laisser injurier se fait. Riposter, non. J’imagine dans l’instant l’effroi des commensaux goguenards, la panique dans le restaurant, le malaise à la table familiale, les titres à la une du menu de l’hôtel :
« Pétage de plombs au restaurant, une tarte ».  Remarque, je préfère cela à la version « Pétage de plombs au restaurant, une psy ».
DONC je respire, quinze ans de yoga pour ça, les snobe du regard et regagne ma place. Insultée mais digne. Bien sûr en me retournant, j’ai cherché fébrilement la remarque qui casse, casse, casse, mais Brice n’était pas avec moi. Rien n’est venu ou tout ce qui serait venu n’aurait fait que conforter ma position basse.

J’ai traité cela par le mépris, et moyennant quoi, j’en ai aussi reçu une dose. Le problème de nos sociétés de déambulants approbatifs, comme le stigmatise drôlement le philosophe Philippe Muray, réhabilité récemment par Fabrice Lucchini, c’est la dictature du politiquement correct. Même devant un buffet de desserts. Et ses conséquences observables dans le secteur du traitement des déchets émotionnels, à savoir le métier de psy. Comme me disait un confrère qui ne s’est jamais vraiment remis de la mort d’Audiard :
« Quand les gens pouvaient encore s’envoyer des bourre-pifs, on avait de vrais clients ».
Il entendait des clients qui réglaient avec des arguments justes les heurts et malheurs de leur destin et venaient  nous voir pour le reste. A violence reçue, réponse égale d’un point de vue vibratoire. Du Talion éclairé : œil pour œil, ou la valeur d’un œil pour un œil. Car fuir ou fuir abîme. Et un destin de galets polis nous amène à rouler sur la grève sans conviction.  Paradoxalement seuls dans le mouvement collectif. Comme je l’ai été face au buffet, et comme toutes les femmes du restaurant l’ont été à leur tour, avant et après moi.

Ce post n’est bien sûr pas un appel à la violence, mais une réflexion sur la santé consensuelle de nos systèmes de survie. Socialement on évite le conflit à tout prix, quitte à en accepter l’humiliation sous-jacente qui l’amplifie et le retourne contre soi. Le galet continue à rouler, même quand la mer s’est retirée. Poli et toujours seul. Oui le Talion a du bon.  A chacun de l’apprécier et de l’agir dans l’instant. Une sorte d’entartage thérapeutique que n’aurait pas, à coup sûr J renié Audiard.

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