À l’ombre du cerisier en Freud

Contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, je n’ai pas fumé.

Juste accepté de me laisser inspirer.

Ainsi récemment, au 20 rue Maresfield  Gardens, au nord-ouest de Londres, soit la dernière demeure de Sigmund Freud qui y  débarqua en septembre 1938 pour y mourir un an plus tard exactement, à 83 ans.

Une rue tranquille bordée de vastes maisons de brique et, soudain, illuminant le froid de l’hiver anglais… un cerisier en fleur, magnifique, qui répand sa profusion printanière sur la maison de l’inventeur de la psychanalyse- la seule de la rue à être ainsi célébrée. Qu’est-ce qui fait que … ?

L’intérieur (de la maison) donne, comme toujours, des réponses. Freud a fui Vienne à contrecœur après que les nazis aient brûlé ses livres sur la place publique et décoré d’énormes  svastikas la façade de son cabinet rue Berggasse. Exfiltration possible grâce au soutien de Roosevelt qui s’est personnellement engagé à ce que l’inspirateur de la psychologie  moderne ait droit de cité à Londres pour y rapatrier, via des donateurs mystérieux, sa famille et son mobilier.

Freud  au  foyer. Les critiques de Freud ont stigmatisé l’omniprésence à ses côtés des trois femmes de sa vie, en plus de sa mère évidemment : Martha  son épouse fidèle à son poste, la cuisine, Minna sa belle-sœur et Anna, sa fille, psychanalyste pour enfants après avoir effectué son travail analytique avec… son père. Incestueuse, dangereuse, gravement dysfonctionnelle. Les critiques sur la configuration familiale de Freud sont innombrables et compréhensibles à la lumière des découvertes ultérieures sur les enjeux du transfert et du contre-transfert.

Sauf que, en situation, dans son cabinet préservé à l’identique, en face du sofa des analysants et de la chaise sur laquelle il s’asseyait derrière ses myriades de statuettes funéraires assyriennes, étrusques, grecques et égyptiennes  disposées de façon codifiée dans la pièce, entre les photos de lui caressant ses chows-chows favoris ou allongé sous la couverture de sa chaise-longue, recevant les présents des fermiers alentours pour son dernier anniversaire- fleurs, fruits, œufs et jambon ou encore tout redressé et fringuant pour une photo à caractère honorifique,  le doute pointe. Qui était Freud ?

Patriarche entouré de sa tribu façon sam’suffit sur le transat? Analyste  fasciné par la mort face à ses statuettes funéraires à haute fonction protectrice ? Mystique refoulé fâché avec Jung, son émule tenté par l’ésotérisme ? Mégalo orchestrant jusqu’au moindre détail sa postérité hagiographique ? Génie du XIXème siècle sans qui je ne serai pas là  à écrire, comme des millions d’autres professionnels se dédiant à « l’humain » ? Psychanalyste, juif et âgé, Freud a échappé au bucher que lui destinait sans faillir la barbarie nazie. L’humanité a sauvé un vestige. Et le vestige a donné du fruit, des descendants, des dissidents, des controverses,  des ennemis, des critiques, la vie !

Freud a utilisé la quatre-vingt troisième année de sa vie à reconstituer à l’identique le cadre de son existence viennoise, à y installer sa famille qui lui a survécu cinquante ans sur place, à écrire deux livres, à recevoir ses patients et à correspondre avec la fine fleur de l’intelligentsia analytique européenne.  Puis, la souffrance du cancer à la mâchoire qui le taraudait depuis seize ans se faisant trop forte, il a demandé à son médecin de lui prescrire la dose de morphine fatale. On-off.  Façon Samurai.

Un destin célèbre et pourtant énigmatique, éternel aussi à l’image du cerisier en fleurs devant chez lui, ce  perfect blossom ou la quête de toute une vie que rappelle Katsumoto, un autre guerrier :

« The perfect blossom is a rare thing. You could spend your life looking for one and it would not be a wasted life”.1

Respect.

  1. « Une floraison parfaite est exceptionnelle. Qui passerait sa vie à la chercher n’aurait pas perdu son temps » . The Last Samurai , Edward Zerick, 2003

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