Rêver pour autrui, un vrai cadeau de Noël ?

Claudia Procula. Patronyme inconnu, consonance de Dracula, ambiance Carpates, soit un patronyme qui pourrait faire peur. Surtout si on l’associe à celui de son époux, le funestement célèbre Ponce Pilate. Depuis deux mille ans, PP – le recours aux initiales affaiblissant l’impact – ou Ponce Pilate revient encore et encore dans la bouche des croyants. Car « Jésus a souffert sous Ponce Pilate ».

Attention, 24 décembre, on célèbre Noël bientôt, pas la Passion ! Love and Joy, la lumière revient, l’espoir aussi. La naissance de l’Enfant de Noël précède de loin les souffrances de Pâques. Même si la prophétie d’Isaïe devait se réaliser pour que l’histoire s’accomplisse, comme on sait. Mais si on l’oublie et on s’en tient à une dimension… conjugale en l’occurrence, tout cela aurait pu être évité. Et PP ou Ponce Pilate serait resté le préfet de Galilée quasi anonyme qu’il était avant l’histoire. Qui est devenue grâce ou à cause de lui, la Grande Histoire.
Comment cela aurait-il pu ne pas se passer ? Matthieu nous l’apprend dans son Évangile :

« Alors que Ponce Pilate siégeait au Tribunal, son épouse lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce Juste ; car aujourd’hui j’ai été très affectée par un songe à cause de lui » » (Évangile selon Matthieu, chapitre 27, verset 19)

Peine Perdue. Ponce Pilate, moins affecté que son épouse de toute évidence, accepte de laisser condamner l’agitateur au motif qu’il se prétend « Roi des Juifs ». Un contre-sens spirituel absolu inspiré par un motif politique, aussi décalé que sa non-écoute du rêve de son épouse. Ponce Pilate, à un songe de l’amnistie.

Puissance des rêves quand on rêve pour soi. Puissance ajoutée quand on rêve pour autrui.

Joyeux Noël, joyeux rêves !

Back from the Jungle – Un conte pour la rentrée

Certains faits-divers vivent en nous, infusent pendant l’été, jusqu’à teinter différemment l’effervescence de la rentrée. Je pense à ces quatre enfants colombiens de la tribu Huitoto, rescapés en juin dernier de la jungle amazonienne après quarante jours d’errance suite au crash du CESSNA qui a emporté leur mère.

Une tragédie suivie d’un team building héroïque, mené par l’ainée, 13 ans, qui a assuré la survie de sa fratrie, respectivement âgée de 9 ans, 5 ans et 11 mois, dans un lieu infesté de serpents, jaguars, araignées, plantes toxiques et vénéneuses. Une prouesse de courage et de résilience qui célèbre l’intelligence humaine quand elle s’ouvre à plus grand qu’elle.

Rappelons les faits que l’euphorie de la tong estivale peut avoir effacé des mémoires. Après avoir assisté leur mère pendant ses quatre jours d’agonie, les enfants ont quitté le site de l’accident, emportant avec eux un stock de farine, une bâche pour se protéger la nuit, deux téléphones portables pour jouer – survival mode 2023. Pour se piloter dans la jungle, ils se sont rappelé les comptines chantées par leurs parents, un condensé de sagesse tribale signalant les plantes toxiques et nourricières, enseignant les ruses face aux bêtes sauvages, les rassurant sur la protection des esprits. Un hommage au savoir ancestral qui a résonné en miroir puisque, après un mois de recherche infructueuse, les forces spéciales colombiennes ont laissé la garde indigène mener une cérémonie à l’ayahuesca, plante hallucinogène, avec pour objectif de demander à l’esprit de la forêt une guidance. Réponse le lendemain, via la rencontre d’une tortue, animal sacré, qui a peaufiné le téléguidage et conduit aux enfants.

« L’intelligence humaine a été poussée à son paroxysme, si l’on s’en tient à sa définition de faculté d’apprentissage, de compréhension et d’adaptation au milieu. »

Transmission d’un savoir par les parents, intégration et mise en pratique par les enfants, solidarité sans faille du petit collectif, soutien au plus faible, notamment le bébé dont l’aînée a mâché matin et soir la nourriture afin de la lui rendre digeste, foi en des forces d’un autre ordre et mise en place de rituels pour les honorer. L’intelligence humaine a été poussée à son paroxysme, si l’on s’en tient à sa définition de faculté d’apprentissage, de compréhension et d’adaptation au milieu. Pas de place pour un GPS ou un quelconque chatbot ici, mais un condensé d’instinct, de mémoire, et d’intuition, très éloigné du fonctionnement analytique et rationnel modélisé par les algorithmes de l’IA auxquels nous obéissons au quotidien.

Une passivité non sans danger car s’ils nous font gagner du temps, ces annexes de nos cerveaux altèrent nos facultés de réflexion, de mémorisation, de jugement, avec les risques cognitifs associés (Alzheimer notamment, pathologie favorisée par l’inactivité de l’hippocampe, en charge du processus de mémorisation). Ils nous assèchent aussi, restreignant notre rapport au monde à une vision rétrécie, sinon parodique, de notre intelligence.

La nôtre, d’intelligence, s’inspire des ressources de l’âme ou encore du cœur. Elle ne force pas la performance, mais se renforce par l’écoute. Elle intègre l’expérience patinée par l’émotion. Elle amplifie la relation à la nature, la capacité à interagir avec les autres règnes, végétaux et animaux notamment. Concrète, opérationnelle, humaine en un mot, cette intelligence garantit le savoir-faire, mieux le savoir-vivre, concept qui après quarante jours dans la forêt amazonienne, prend tout son sens. Aucun d’entre nous n’aurait survécu dans la jungle. Célébrons le fait qu’une Indiana Jeune, clin d’œil au poncif de l’homme blanc et fort, soit venue nous rappeler le Savoir Perdu.